Avec mes amies, on a un gag récurrent : dans les soirées qu’on passe ensemble, on sait qu’à un moment, inévitablement, on va parler de violences sexuelles (ok y’a plus marrant comme gag).
C’est pas prémédité, on discute de tout autre chose, et puis de fil en aiguille l’une d’entre nous (beaucoup d’avocates et de journalistes mais pas que) va raconter un cas qui l’a personnellement touchée, ça peut être une histoire épouvantable ou bien quelque chose de plus ambigü, qui nous fait partir des heures de discussions.
Les types avaient-ils conscience de ce qu’ils faisaient ? Pourquoi ont-ils agi ainsi ? Qu’est-ce qu’il aurait fallu pour que ça n’arrive pas ? Comment faire advenir une société débarrassée de cette violence ?
Sans l’avoir décidé je crois que c’est l’une des quêtes essentielles de nos vies, essayer de devenir des expertes de ce sujet, comprendre la violence pour tenter de trouver enfin des moyens d’éviter qu’elle ne prolifère sans fin.
Je leur ai donc tout de suite parlé avec beaucoup d’enthousiasme du livre de Marie Chatron qui m’a passionnée : chercheuse et autrice, Marie a consacré plusieurs documentaires et sa thèse de philosophie politique à précisément, comme son titre l’indique, Penser les violences sexuelles.
Dans cette discussion en direct, enrichie par vos questions, nous traversons son livre, chapitre après chapitre, pour comprendre son raisonnement — un peu au pas de charge, car j’avais envie de parler de tout que c’est pas facile de résumer en une heure plus de dix ans de recherche mais je crois que ça donne un bon aperçu de son travail !
Marie Chartron a soutenu sa thèse un an après #MeToo, après de longues années de recherches solitaires dans une époque où les violences sexuelles n’intéressent plus grand monde. Elle se donne pour défi de comprendre et articuler toutes les théories sur ces violences, en identifiant leurs lacunes et leur défauts de raisonnement.
Elle démontre pourquoi les violences sexuelles sont non seulement des violences collectives (et pas des malheurs individuels) mais aussi des injustices structurelles, qui appellent à une véritable prise en compte politique.
Elle parvient à créer un nouveau modèle qui permet de les penser dans leur diversité, leur complexité, leur historicité, en intégrant certains angles morts, par exemple : comment expliquer la violence des femmes agresseuses ? Le fait qu’il y ait des hommes victimes ? Et les violences entre personnes non cisgenre, non hétérosexuelles ?
Et dans le dernier tiers de notre échange, on a à peine pu effleurer ce qu’elle nomme “l’éthique féministe de la reconstruction”, à partir de son étude des groupes de parole et d’autodéfense féministe, avant d’aborder LA question : que faire de toutes ces connaissances maintenant ? Comment penser une justice réellement transformatrice, qui ne se contente pas de punir, ni de “restaurer” (restaurer quoi ?), mais qui répare, qui transforme, qui libère ?
J’espère qu’à l’écoute vous apprécierez cette conversation dense et exigeante — et que cela vous donnera envie de vous plonger dans son livre passionnant !
Merci à Marie Chartron pour sa générosité et son travail si important !
BIBLIOGRAPHIE POUR ALLER PLUS LOIN
… faite par Marie Chartron elle-même, merci à elle !
Shulamith Firestone, La Dialectique du sexe, Paris Stock, 1972.
Angela Davis
« Joan Little : the dialectics of rape », Ms. Magazine, juin 1975
« Reflections on the Black woman’s role in the community of slaves », The Black Scholar, vol. 3, n° 4, décembre 1971
Kimberlé Crenshaw, « Demarginalizing the intersection of race and sex : a Black feminist critique of antidiscrimination doctrine, feminist theory and antiracist politics », University of Chicago Legal Forum, n° 1, 1989, p. 139-167.
Kate Millett, Sexual politics, New York, Columbia University Press, 2016 (1970). L’ouvrage a été traduit en français sous le titre La Politique du mâle (Paris, Stock, 1971)
Susan Brownmiller, Against Our Will. Men, Women, and Rape, New York, Simon and Schuster, 1975
Liz Kelly, « The continuum of sexual violence », in Jalna Hanmer et Mary Maynard (dir.), Women, Violence, and Social Control. Explorations in Sociology, Atlantic Highlands, Humanities Press International, 1987, p. 44-60. L’article a été publié en français : « Le continuum de la violence sexuelle », Cahiers du genre, vol. 1, n° 66, 2019.
Paola Tabet, La Grande Arnaque. Sexualité des femmes et échange économico-sexuel, Paris, L’Harmattan, 2005
Catharine MacKinnon,
En français :
“Rape redefined », Harvard Law and Policy Review, vol. 10, 2016, p. 431. Cet article a été traduit : Le Viol redéfini. Vers l’égalité, contre le consentement, Paris, Flammarion, 2023.
Le Féminisme irréductible. Discours sur la vie et la loi, Paris, Éditions des femmes, 2005 (1987)
« Sexuality », Raisons politiques, vol. 2, n° 46, 2012
Towards a Feminist Theory of State, Harvard University Press, 1989
Women’s Lives, Men’s Laws, Cambridge/Londres, Harvard University Press, 2007 (2005)
Dorothée Dussy, Le Berceau des dominations. Livre 1 : Anthropologie de l’inceste, Marseille, La Discussion, 2013
Elsa Deck-Marsault, Faire Justice, La Fabrique, 2024
Films :
Je Verrai toujours vos visages, Jeanne Herry, 2023
Hollow Water, Bonnie Dickie, 2000. Lien vers le film : https://www.onf.ca/film/hollow_water/
JUSTICE!, Marie Chartron et Marion Guégan, 2021. Lien Vod : https://vimeo.com/ondemand/seriedocumentairejustice
RESSOURCES
Association ARCAF - Association d’Autodéfense et de Ressources pour le Choix et l’Autonomie des Femmes
https://assoarcaf.wordpress.com/
Collectif Fracas - Collectif Queer et Féministe d’Aide à la gestion des Conflits
https://www.collectif-fracas.com/
Collectif Féministe contre le Viol (CFCV)
0 800 05 95 95
Comment on s’aime (association En Avant Toutes)
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