Dans cette longue lettre, je vous recommande plusieurs oeuvres à lire, écouter et regarder. Mais d’abord, voici où on peut se retrouver cette semaine :
Mercredi 14, 20h (En direct sur Substack) — Qu’attendons-nous des hommes agresseurs ? Condamné pour agressions sexuelles, Nicolas Bedos affirme avoir “reconnu ses fautes”, “accepté sa peine”, et chercher maintenant à (se) “comprendre” dans son livre “La soif de honte”. Y parvient-il ? Au delà de son cas, quelles attitudes, changements, comportements devrait-on exiger en tant que féministes de la part des agresseurs ? J’en discute avec Valérie Rey-Robert (autrice de “Une culture du viol à la française) — venez partager vos questions et réflexions ! (Astuce : si vous souhaitez lire le livre sans donner de l’argent à son auteur, vous pouvez l’acheter en numérique et vous le faire rembourser sous 14 jours)
Mardi 13, 19h (Paris 8e) - Vous connaissez ce génie de Julien Cernobori, l’auteur des podcasts “Superhéros” et de “Cerno, l’anti-enquête”? C’est lui qui m’a tout appris (la prise de son, le montage, les silences) quand je suis arrivée chez Binge Audio. Pour cette soirée à la SCAM, on va discuter tous les deux de podcast (et de comment ne plus se faire avoir par des producteurs malhonnêtes) — c’est gratuit, il y a une performance ensuite, il faut juste réserver ici.
Jeudi à Samedi (Turin, Italie) — Si vous connaissez des turinois·es, dites leur de passer me voir au Salon du Livre. Il Cuore Scoperto (Le Coeur sur la table) vient d’être traduit, enrichi par une dizaine de nouveaux entretiens avec des intellectuelles féministes italiennes (faites par la même bande qui s’est consacrée à la traduction intégrale (et bénévole !!) du podcast, l’association Vanvera). Bravissimo !
En lançant cette newsletter “Renverser la table”, j’ai annoncé la publication des textes plus personnels. Accaparée par quatre gros projets dont je vous parlerai bientôt, je peine à dégager le temps nécessaire pour élaborer ce qui compte pour moi. Mais voici enfin ce que je voulais vous écrire sur les voix bien-aimées et ce qu’on appelle “les deuils blancs” :
Enregistrez vos grands-mères.
Ses phrases ont disparu par morceaux. Elles sortaient pleines de trous et de points de suspension, comme si le langage était une chanson dont elle connaissait la musique mais plus les paroles.
L’article entier est réservé aux abonné·es payant·es. Grâce à votre soutien, je peux continuer, en indépendante, à vous être utile en faisant circuler des idées et des textes (et bientôt des podcasts!). Je vais enfin avoir plus de temps dans les mois qui viennent pour écrire sur ce qui me travaille — pourquoi je suis en thérapie avec ma mère et comment le trauma déglingue le sens des faits, par exemple.
CE QUE JE VOUS RECOMMANDE DE LIRE, VOIR ET ECOUTER CETTE SEMAINE :
A LIRE - ARTICLE : “L’extrême-droite, ce n’est pas seulement l’extrême-droite”
Je vous conjure de lire intégralement cette remarquable analyse signée Mona Chollet. Elle prend le temps de synthétiser la situation politique dans laquelle nous sommes, pris au piège entre d’un côté les extrême-droites fascistes et de l’autre les politiques néo-libérales (qui ont favorisé les premières). “Le capitalisme s’est accommodé de la démocratie mais c’est terminé,” remarque-t-elle. Elle attire notre attention sur trois phénomènes sous-estimés alors qu’ils nous enfoncent dans le piège :
1 - L’hostilité envers le militantisme
Activistes et militant·es sont de plus en plus disqualifié·es par les discours politiques et médiatiques. Dans une terrifiante inversion de réalité, celleux qui défendent l’intérêt général (la justice, la démocratie, la paix…) sont “présentés comme une menace pour la société”. Être “militant” est devenu une insulte, ce qui nous inhibe et nous empêche de nous engager franchement. Si vous aussi, quand vous dites ce que vous pensez et qui va à l’encontre du consensus établi, on vous renvoie que vous êtes “agressive, déplacée, excessive” : ne nous laissons pas faire.
2 - L’islamophobie, c’est le moteur de la fascisation en cours
Après l’assassinat d’Aboubakar Cissé, le 25 avril, qui priait à la mosquée, on aurait pu espérer que le pays ouvre les yeux sur le niveau inouï de haine islamophobe qui règne dans notre pays, des plateaux télé aux ministères. Mais non.
En France, c’est l’islamophobie, c’est à dire la haine des “musulmans” (sous couvert de défense de la laïcité), “qui est institutionnalisée, accréditée, naturalisée par l’écrasante majorité de la classe politique et par une bonne partie des médias, où règne un racisme tantôt policé, tantôt virulent, assumé – et normalisé.
C’est l’islamophobie qui donne lieu à la fabrication nationale d’un phénomène de bouc émissaire. Les traits qu’on ne veut pas voir dans la part blanche de la société, à commencer par le sexisme et l’antisémitisme, sont reportés sur les musulman·es.”
Dans les milieux féministes, nous devons en particulier être vigilantes sur la façon dont nos valeurs (la liberté des femmes, l’autonomie) sont utilisées pour taper sur les femmes musulmanes. Ne nous laissons pas avoir par les Fourest et Badinter.
3 - Le fourvoiement sur la Palestine
Vous aussi j’en suis sûre vous êtes horrifié·es par le génocide du peuple palestinien commandé par le gouvernement d’extrême-droite en Israël, au nom du judaïsme et de la Terre promise. Vous aussi j’en suis sûre vous êtes hanté·es par ces images qui continuent de nous parvenir de Gaza — ces corps d’enfants totalement décharnés, ces décombres à perte de vue, ces dizaines de milliers de visages détruits.
Sauf que même en énoncer publiquement ces évidences — il faut que cela s’arrête — est devenu difficile : “En interdisant de nommer et de condamner ce que nous avons sous les yeux – l’étouffement et la boucherie quotidienne d’un peuple, la destruction d’une terre et d’une société –, en imputant la « haine » non à celles et ceux qui commettent un génocide, mais à celles et ceux qui le dénoncent la défense jusqu’au-boutiste d’Israël accélère l’orwellisation de notre monde.”
Est-ce qu’on s’est résignés à ce que rien ne puisse jamais changer ? Je ne sais pas pourquoi on est pas des millions dans la rue toutes les semaines pour appeler à ce que cela cesse (dans les années 70, c’est la mobilisation populaire mondiale qui a arrêté la guerre du Vietnam, comme le faisait remarquer la mère d’un ami…). Nous… sauf une minorité se bat, on reste là, en terrasse, à projeter nos vacances pendant que de l’autre côté de la mer en ce moment même des enfants meurent affamés parce que l’armée israélienne empêche toute aide de parvenir aux Gazaouis. Je m’inclus dedans. Je me sens impuissante, je ne peux que vous encourager à ne pas détourner le regard et à donner de l’argent à Médecins Sans Frontières, à Urgence Palestine, à l’UNICEF.
A VOIR - DOCUMENTAIRE - LES FEMMES, LE PAPE ET LE PARTI, de Ada Grudzinski
Toutes les personnes qui ont vu ce documentaire, même des féministes très bien renseignées, en ont été ébahies. Avec un montage intelligent et des images d’archives incroyables. (oh ces défilés géants de femmes athlétiques et apprêtées, à la gloire de Staline), ce documentaire comble un trou important de l’histoire des femmes, qui n’avait jamais été racontée.
Dans les années 60, la Pologne c’était l’un des pays les plus en pointe pour les droits des femmes : les suédoises allaient en voisines se faire avorter là bas (vous le saviez vous ?!!). Au moment du passage à la démocratie, les femmes polonaises ont été sacrifiées : ce droit leur a été retiré (à la demande de l’église catholique, et avec le soutien actif des syndicalistes de Solidarnosc).
Quelles leçons pouvons-nous tirer de l’exemple polonais, alors 40% des femmes dans le monde n’ont pas accès à l’avortement et que partout dans le monde, les mouvements d’extrême-droite qui y sont farouchement hostiles ?
En nous montrant comment ce droit a été perdu, et nous montre comment nous pouvons battre pour que toutes les femmes l’obtiennent enfin.
À ÉCOUTER - Le Nectar (mes 500 morceaux préférés)
Comme je le répète souvent, quand on se préoccupe du monde dans lequel on vit et qu’on se bat pour qu’il devienne meilleur, la musique, l’art, voir ses ami·es, rire, jouer et danser ensemble, ce ne sont pas des luxes mais des nécessités (sinon on meurt de désespoir). Alors je continue de faire la fête, d’organiser des grandes tablées de copain·es, de m’improviser DJ dans les soirées, pour qu’on kiffe un peu.
Comme je suis toujours à la recherche de bons filons musicaux, le chanteur Pierō m’a conseillé de chercher sur Spotify les playlists faites par des artistes que j’admire — lui-même en a une, intitulée “Nectar”, ce sont ses 1000 morceaux de musique préférés au monde. Je me suis roulée dedans telle une abeille ivre de pollen.
Et je l’ai imité — voici donc mon propre “Nectar”, avec les 500 morceaux que je trouve les plus beaux, les chansons pour moi les mieux écrites, les mélodies et les voix qui me font fondre :
A VOIR - THÉÂTRE : La France, Empire - de Nicolas Lambert
J’ai été très impressionnée hier par la pièce “La France, Empire”, au théâtre de Belleville à Paris. Il joue encore pour quelques semaines : prenez vos places !
Vous ne le regretterez pas. Je croyais être assez bien renseignée et j’ai appris énormément de choses, sans jamais que ça soit didactique, ennuyeux ou simpliste. La guerre au Cameroun, les massacres des tirailleurs sénégalais, l’écrasement des révoltes à Madagascar, et tant d’autres pages arrachées de nos manuels : ce sont nos “secrets de famille” nationale. Il nous faut les regarder en face. Vous pouvez y emmener des ados aussi.
https://www.theatredebelleville.com/fr/la-france-empire
Je vous embrasse, je vais préparer mon cours de yoga !
Victoire Tuaillon
Merci Victoire, comme d'hab plein de bonnes idées pour se sentir entouré.es.
Le doc sur la pologne est déjà dispo sur le site/l'app d'Arte pour ceux pour qui un début à minuit est un défi 🙃
Merci pour la recommandation du documentaire sur la Pologne, je l'ai mis dans ma loooongue liste "à voir" sur Arte !